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Chinese to French: 大串联 - Le grand échange (chapitre 1) General field: Art/Literary Detailed field: History
Source text - Chinese ■1
倘若不是为她,我绝对不会登上这辆列车。我知道上了车就下不来了,我也知道不上车,恐怕这辈子我再也见不到她了。月台上的人太多了,我不知道他们有什么感觉,反正我感觉似乎毛主席昨天接见过的五十万名红卫兵都聚集在这里了。等我挤上这一趟去西北的车,我的裤腰带都断了,只好拿背包带临时扎上。我的伙伴们在十二号车厢,见了他们,我才后悔,我只背了个军挎包,装了毛巾、裤衩和袜子,外加上五块钱、六斤全国粮票,而他们人人都扛着个铺盖卷。看我来,他们都盯着我的蓝裤子,偷偷笑。
他们都很纳闷,见我单枪匹马,脸上都露出疑问的表情:家辉呢?家辉是我们这次大串联的组织者,偏偏就他迟迟不见踪迹。我告诉他们,家辉不能来了,他家昨天夜里被抄了,他爸他妈也被押走了,他得照顾他的俩妹妹。我从裤兜里掏出红卫兵袖章,家辉叫我把这个上交,他不想因为他,而给红卫兵脸上抹黑。
Translation - French ■1
Si ce n’avait été pour elle, je ne serais jamais monté dans ce train. Je savais pertinemment bien qu’une fois dedans, je ne pourrais plus en redescendre. Cependant, je craignais de ne plus jamais la revoir si je restais là. Le quai de la gare était noir de monde. J’ignorais ce qu’ils ressentaient. Moi, j’avais juste l’impression que les cinq cent mille gardes rouges à qui s’était adressé le président Mao hier s’étaient tous regroupés ici. Tandis que je me hâtais de monter dans ce train en direction du nord-ouest, ma ceinture se rompit et je n’eus d’autre choix que d’utiliser la sangle de mon sac en guise de ceinture de fortune. Mes camarades s’étaient installés dans le compartiment numéro douze. En voyant que tous avaient pris des bagages en rouleau, je regrettai de n’avoir pris avec moi qu’une sacoche militaire dans laquelle j’avais mis une serviette, des sous-vêtements, des chaussettes ainsi que cinq yuans et six coupons alimentaires valables dans tout le pays. Dès qu’ils me virent avec mon pantalon bleu, ils se mirent à rire du bout des lèvres.
Sur leur visage, je devinais leur étonnement de me voir seul. « Et Jia Hui alors ? » me demandèrent-ils. Jia Hui, c’était l’un des organisateurs de ce rassemblement. Contre toute attente, il tardait à venir et personne ne trouvait de traces de lui. Je leur annonçai que Jia Hui ne pourrait pas venir : sa maison avait été perquisitionnée la veille dans la nuit, son père et sa mère avaient été emmenés et il devait donc s’occuper de ses deux petites sœurs. Je sortis alors de la poche de mon pantalon un brassard de garde rouge. « Jia Hui m’a demandé de le remettre aux autorités supérieures. Il ne veut pas que les gardes rouges soient discrédités par sa faute. »
Au départ, la plus grande organisation de rebelles brandissant le grand drapeau rouge de la pensée Mao Zedong au sein de notre école avait réuni des troupes pour ce grand échange d’idées révolutionnaires. Cependant, les conditions pour pouvoir participer étaient très nombreuses et il fallait en plus réussir toute une série d’épreuves, sans quoi vous n’étiez pas qualifié pour rejoindre leurs rangs. Ils pouvaient, par exemple, vous demander de frapper votre meilleur ami ou de coller un slogan sur le front d’un professeur qu’ils appréciaient peu. Si vos parents s’avéraient être des contre-révolutionnaires, ils pouvaient même vous demander de les faire défiler dans les rues.
À leur propos, Jia Hui avait un jour déclaré : « Ils font facilement des histoires et je ne veux pas être sous leurs ordres. »
Il ne fallait surtout pas dire que vous vouliez compter dans leurs rangs, sans quoi ils vous faisaient à coup sûr porter le sac de tel ou tel chef et faisaient de vous un larbin obéissant à leurs ordres. Jia Hui suggéra donc que nous constituions notre propre groupe et que nous tracions notre propre chemin, loin de ces salauds. Nous serions nos propres maîtres. J’avais été le premier à l’acclamer avec enthousiasme, suivi de Jiang Xiaotong. Du Shoulin, qui était collé à moi comme un morpion, fut le troisième. Pour désigner le chef de notre détachement, nous eûmes recours à la bonne vieille méthode : nous prîmes un jeu de cartes et chacun en piocha une. Les nombres pairs battaient les nombres impairs. Avec sa veine, Jiang Xiaotong piocha la carte la plus forte en cœur, et nous n’avions plus alors qu’à le soutenir ardemment, luttant vaillamment derrière lui.
Dans le wagon, de jeunes soldats révolutionnaires s’entassaient partout, certains étaient même assis sur les valises et sous les sièges. J’avais juste assez de place pour me tenir debout et ne parvenais qu’à poser un pied à terre à la fois, un peu à la manière d’une autruche. Malgré l’inconfort de nos positions, tous nos regards étaient de braise. Pour la plupart d’entre nous, c’était la première fois que nous partions aussi loin. Heureusement, le simple fait de porter un brassard de garde rouge nous permettait de voyager gratuitement dans tout le pays. Jiang Xiaotong me cria soudain dans l’oreille « Il est à qui ce pantalon ? » Je lui répondis que je l’avais emprunté. Il s’esclaffa et je lui mis une gifle. Je savais à quoi il faisait allusion. Hier, alors que j’urinais sur le pont, mon pantalon à moitié sur mes fesses, j’entendis que nous devions être passés en revue et, de peur d’arriver en retard, je me pressai et mouillai ainsi mon pantalon. J’offrais alors à mes camarades une trop belle occasion de me charrier. Quand le train se mit en marche, tout le monde ouvrit les fenêtres et y passa sa tête pour saluer les personnes restées sur le quai, qu’importe qu’ils les connaissent ou non. Au fond du compartiment, deux étudiants, l’un de l’université Beida, l’autre de l’université Qinghua, commencèrent à débattre pour savoir qui de Nie Yuanzi ou de Kuai Dafu s’était montré le plus courageux et le plus déterminé lors de la bataille féroce qu’ils s’étaient livrée. Ces deux étudiants n’en étaient pas venus aux poings, l’espace était relativement restreint et sans doute n’avaient-ils pas l’occasion de démontrer toutes leurs capacités. Jiang Xiaotong déclara qu’il n’admirait ni Nie Yuanzi ni Kuai Dafu, mais qu’il admirait Tan Houlan de l’université normale de Pékin. Peut-être était-ce parce que je n’avais pas les mêmes hautes aspirations que lui, mais je restai en dehors du débat. Je savais que Jiang Xiaotong s’était exercé à l’art du discours en cachette. D’ailleurs, il se tenait toujours comme Lénine, une main dans sa poche et l’autre pointant le paysage. Il y avait un seul hic : il avait un accent à couper au couteau et prononçait les consonnes sifflantes comme des chuintantes. Originaire de Baicheng, il avait déménagé deux ans auparavant et avait rejoint notre classe en milieu d’année. À côté de moi, Du Shoulin regardait toujours fixement par la fenêtre. Il ne se souciait de personne, conservant une attitude détachée du monde. Cependant, en le regardant plus attentivement, je remarquai qu’il était en train de pleurer silencieusement. Je lui demandai s’il était triste d’avoir quitté sa mère, mais il me répondit qu’il n’avait plus de mère. Je lui demandai alors s’il était triste d’avoir quitté son père, mais il me répondit qu’il n’avait plus de père non plus. Curieux, je lui demandai pourquoi il pleurait et il me répondit qu’il était triste de quitter Pékin. Tout à coup, Jiang Xiaotong se mit à pousser des gémissements en pointant du doigt l’avant du train et appela Du Shoulin. Plusieurs jeunes chantaient avec enthousiasme et je remarquai seulement que six ou sept vaillantes jeunes filles coiffées de nattes chantaient tout en battant la mesure d’un air martial. Aucune ne semblait triste de quitter sa famille. Parmi elles se trouvait une jeune fille portant une longue natte et dont une joue était creusée d’une fossette. Elle me fit immédiatement penser à cette autre fille à la natte que je connaissais bien et qui, elle aussi, n’avait qu’une seule joue creusée d’une fossette. Cependant, les yeux de celle qui se trouvait maintenant en face de moi n’étaient pas aussi cristallins que les siens. Je me demandais toujours pourquoi elle était partie sans dire ni laisser de mot. Cela restait pour moi un grand mystère que je ne pourrais résoudre qu’en la retrouvant.
J’ignorais quelle était la destination de notre train et je présumais que nous l’ignorions tous. Nous avions seulement convenu de l’heure à laquelle nous nous rejoindrions à la gare ce matin, nous étions empressés de grimper dans le train et nous étions directement dirigés vers le wagon numéro douze où nous devions nous retrouver. Yang Dongsheng était arrivé en premier. Il avait dû monter dans le train en escaladant une des fenêtres tellement les gens s’agglutinaient devant les portes. Bien qu’il soit d’un an mon cadet, Yang était déjà dégarni. Dès lors, été comme hiver, il portait constamment sur la tête un képi. Il arborait également un badge à l’effigie du président Mao sur sa poitrine. Aussitôt que quelqu’un le provoquait, il bombait le torse et défiait quiconque de le frapper : « Vas-y, frappe si tu oses ! Qui ose ? Je parie que pas même le plus courageux n’osera ! » Ce badge était ainsi devenu son talisman. Yang Dongsheng était orphelin : ses deux parents étaient morts sur le champ de bataille lors de la guerre de Corée. Même si mes parents étaient encore en vie, je n’avais pas pour autant une famille aimante. Ma mère était membre du comité révolutionnaire local et mon père était quant à lui membre du commandement du quartier général des ouvriers rebelles, ce qui faisait d’eux des ennemis. Chaque fois qu’ils se voyaient, ils se disputaient à en devenir tout rouge et ne préparaient même pas à manger. Je n’avais donc pas d’autre choix que de partir de mon côté. Soudain, nous entendîmes Zheng Jianguo se quereller avec des étudiants de l’université Qinghua et nous accourûmes pour le soutenir. Quand Jiang Xiaotong lui demanda ce qu’il se passait, il répondit qu’ils avaient essayé de lui prendre son appareil photo et qu’ils l’accusaient de les avoir photographiés à leur insu. Ils le soupçonnaient même d’être un espion. Yang Dongsheng les avisa du nom de notre école et leur expliqua que Zheng Jianguo était en fait notre correspondant de guerre. Au beau milieu de cette confusion, un agent de sûreté ferroviaire arborant un brassard de garde rouge fit irruption parmi nous. Il prit les deux parties à part, sortit de sa poche un cahier et commença à lire à voix haute un passage des « Six articles concernant la sécurité publique pendant la Grande Révolution culturelle prolétarienne ». Il avertit les deux parties que s’ils semaient encore le trouble dans le train, ils seraient accusés d’avoir voulu saboter la Grande Révolution culturelle prolétarienne. À ces mots, tous se turent et personne n’osa plus rien dire. Au matin, nous apprîmes que certains avaient volé des mantou . Nous vîmes alors les voleurs coiffés d’un grand bonnet en papier défiler un à un dans le train. À leur passage, certains arrachaient des bouts de leurs vêtements, qui finirent par tomber en lambeaux, exposant ainsi le dessus des fesses des accusés. L’agent de sûreté ferroviaire était un gaillard au teint rougeaud. Nous étions un petit groupe de cinq, mais nous voulions éviter de nous le mettre à dos. Il s’était assuré que nos deux groupes soient écartés : les étudiants de Qinghua avaient été placés dans les dernières voitures du train et notre groupe à l’avant du train, juste à côté des six ou sept jeunes filles aux nattes. Comme s’il n’avait tiré aucune leçon de son différend avec les étudiants de Qinghua, Zheng Jianguo se mit à photographier ces jeunes filles. Heureusement, celles-ci étaient très aimables : non seulement elles ne réprimandèrent pas Zheng Jianguo, mais elles acceptèrent même de poser pour lui et le laissèrent les photographier à sa guise. Très rapidement, Zheng Jianguo sympathisa avec elles et l’ambiance devint on ne peut plus chaleureuse.
La plupart d’entre elles étaient étudiantes à l’université normale de Pékin. La jeune fille à la joue creusée s’appelait Li Caiying. Elle avait une disposition naturelle pour l’enseignement : quand elle conversait avec quelqu’un, elle semblait toujours avoir quelque chose à lui apprendre. Elle nous demanda alors quels étaient nos noms. Quand ce fut à mon tour de répondre, je dis d’un ton docile « Je m’appelle Shi Lei ». Elle me regarda en plissant les yeux, comme si elle était en train de goûter à une saveur, et me dit que mon nom était pour le moins insolite. J’appris plus tard qu’elle était d’au moins quatorze mois ma cadette. Elle appartenait à la génération née sous le drapeau rouge alors que moi j’avais connu la misère de l’ancienne Chine. Ce n’est que quelques mois après ma naissance que fut fondée la République populaire de Chine. Li Caiying était à la fois cultivée et distinguée. Pourtant, elle m’expliqua que son père était un illettré qui ne parlait que pour proférer des insultes. Il était complètement analphabète et avait donc décidé d’envoyer sa fille faire des études pour qu’elle puisse revenir l’instruire une fois qu’elle serait diplômée.
Soudain, Liu Chunpei me glissa à l’oreille que je devrais regarder les filles de manière un peu plus subtile plutôt que de les fixer ainsi, ce qui était assez inconvenant. Liu Chunpei était né avec une tête typique de jeune écolier inexpérimenté. C’était un adepte d’Alexandre Pouchkine et il parvenait toujours à s’attirer l’affection des professeurs de littérature. Son plus gros défaut était d’être un coureur de jupons : les filles l’attiraient et il attirait les filles. Dès lors, ses nombreuses histoires étaient dignes de celles dépeintes dans le Rêve dans le pavillon rouge . Jiang Xiaotong lui présenta alors l’avenir qu’il envisageait pour lui : « Camarade, tu mourras tôt ou tard sous la jupe d’une jeune fille. Si tu ne me crois pas, attends, tu verras par toi-même ! » Contre toute attente, voilà que ce freluquet osait se moquer de moi ! J’étais outré ! Certes, j’avais fixé longuement Li Caiying, mais c’était simplement à cause de sa ressemblance avec cette autre fille à la joue creusée que je connaissais.
Li Caiying me demanda alors quel allait être notre premier arrêt. À vrai dire, je n’en avais pas la moindre idée. Pour le savoir, je devais consulter Jiang Xiaotong. En effet, c’était lui qui avait tracé notre itinéraire et décidé quelles allaient être les têtes de pont de nos ambitions. Nous ne faisions que le suivre. Selon Jiang Xiaotong, nous devions découvrir cette société depuis la base. Notre programme consisterait à descendre à la prochaine gare afin de trouver un village, de rencontrer les petits groupes de production, puis de plus gros groupes de production avant d’aller dans les communes, puis dans les chefs-lieux des districts. Enfin, conformément à la stratégie élaborée par Mao, les villes seraient ainsi encerclées par les campagnes. Séduites par le programme imaginé par Jiang Xiaotong, plusieurs étudiantes nous demandèrent si elles pouvaient se joindre à nous dans ce périple. L’adorable admiration vouée par ces jeunes filles émut profondément Jiang Xiaotong, qui acquiesça sans même nous concerter. Personne ne s’y opposa. Après tout, plus nous étions nombreux et plus nous étions forts ; plus nous aurions de bras pour ramasser du bois pour le feu, plus les flammes seraient hautes. Peut-être y avait-il également d’autres raisons mais personne ne les mentionna. Dans le wagon, la température était très élevée, tout le monde dégoulinait de sueur. Pourtant, Li Caiying conservait sa fraîcheur éclatante, comme si elle se retenait de flétrir. À côté de Li Caiying se trouvait une jeune fille dont la frange cachait les sourcils. Elle sortit de son sac un petit miroir de forme ovale et commença à peigner les cheveux sur ses tempes tout en épongeant sporadiquement sa sueur à l’aide d’un mouchoir. Li Caiying lui donna une petite tape sur l’épaule avant de lui faire remarquer qu’elle n’avait pas renoncé à ses vieilles habitudes de jeune fille issue de la classe bourgeoise et que ce comportement ostentatoire puait le capitalisme. Elle répondait au nom de Du Yi. Dans notre groupe, c’était la seule qui avait l’heure : elle possédait une montre de poche attachée à une chaîne en argent qu’elle dissimulait là où personne n’aurait jamais pensé à fouiller. Soudain, une jeune fille coiffée d’un chignon s’écria : « Nous quittons déjà Pékin ! » Du Yi lui demanda alors où nous nous trouvions. Elle répondit qu’on venait d’entrer dans le district de Huailai. Ses deux yeux écarquillés dissimulaient mal son excitation. J’appris plus tard que malgré son âge, cette fille au chignon n’avait jamais été au-delà du pont Marco Polo, situé à seulement quinze kilomètres de la capitale. Elle ne s’était même jamais rendue au mont Xishan, à l’ouest de la ville. Pas surprenant qu’elle n’ait cessé de regarder par la fenêtre pendant tout le trajet. Elle s’appelait You Yan. L’idéogramme de son prénom, Yan, signifiait « resplendissante ». Juste avant le départ, elle avait changé de prénom et décidé de s’appeler You Fanxiu, dont les caractères signifiaient « antirévisionniste ». Je commençais pourtant à trouver que ce nouveau nom ne cadrait pas vraiment avec son air charmant et timide. Tandis que nous parlions à bâtons rompus, elle restait silencieuse et se contentait de plisser les sourcils. Quand Li Caiying lui demanda ce qu’il se passait, elle leva le nez et nous demanda quelle était cette odeur dans le train. Zheng Jianguo s’esclaffa : « Que pourrions-nous sentir d’autre que cette puanteur ? Regarde, tout le monde porte des chaussures militaires ! » Du Yi se couvrit alors la bouche et déclara qu’elle ne supportait plus cette odeur. À cet instant, des personnes assises derrière nous commencèrent à réciter à haute voix : « La révolution n'est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s'accomplir avec autant d'élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d'amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d'âme. » L’esprit révolutionnaire venait de s’enflammer : d’un coup, le wagon tout entier se mit à les suivre et à réciter des citations du président Mao, le tout dans un brouhaha assourdissant. Du Yi se sentit tellement honteuse qu’elle se recroquevilla sur elle-même et enfonça sa tête entre ses jambes, ne laissant plus apparaître que sa nuque. Jiang Xiaotong lui donna une tape sur l’épaule pour la réconforter et lui dit « Ne t’inquiète pas, nous allons bientôt être éduqués par les masses ouvrières et paysannes, ce sera mieux après. » Du Yi acquiesça d’un signe de tête, accablée mais sincère. Je n’avais pas le même sens de la répartie que Jiang Xiaotong, ni même son pouvoir de persuasion, très probablement parce que je n’avais pas encore autant de conscience politique que lui. Je lisais le journal mais ne lisais pas l’éditorial alors que Jiang Xiaotong pouvait lire un chapitre de la Critique du programme de Gotha de Marx en un mois et en prenait même des notes ! C’était d’ailleurs pour cela que Jiang Xiaotong était devenu notre leader.
J’étais quant à moi on ne peut plus banal, banal au point d’en être las de moi. Même maintenant, par exemple, je pensais déjà à ma famille alors que j’avais quitté la maison depuis à peine quelques heures. Je ne pensais pas à mon père ni à ma mère. Non, je pensais à ma grand-mère ainsi qu’à mon petit chat tacheté. Le devoir quotidien de ma grand-mère consistait à ressemeler et à réparer ses chaussures. Souvent, elle utilisait un poinçon pour se gratter la tête, au point que la tête de son poinçon en était devenue toute luisante. À la maison, j’aidais ma grand-mère à étendre des tissus : nous cousions toutes sortes d’étoffes les unes aux autres et les laissions ensuite sécher au soleil. Alors que j’étais plongé dans la mélancolie, le train s’arrêta soudain dans un crissement aigu. Des camarades trop pressés commencèrent à se bousculer, à s’injurier et à pousser des cris. Tout le monde perdait la tête. Désireux de connaître la raison de cet arrêt, quelques personnes allèrent s’enquérir de la situation. Ni une ni deux, d’autres se dirigèrent vers l’avant du train afin de savoir de quoi il retournait réellement. Même l’agent de sûreté ferroviaire descendit du wagon et courut le long des voies en direction de l’avant du train. Une dizaine de minutes plus tard, tout le monde apprit la cause de ce désagrément : un élément contre-révolutionnaire redoutant le châtiment qui lui était destiné avait préféré se suicider en se jetant sur les voies. Quand nous redémarrâmes, nous nous approchâmes tous des fenêtres dans l’espoir d’apercevoir quelque chose, mais nous ne vîmes rien, à peine une paillasse étendue sur le sol et de laquelle deux pieds nus dépassaient.
À leur vue, Li Caiying se couvrit la bouche sans laisser échapper un bruit. Moi, j’essayais dans la mesure du possible de détourner les yeux et de ne rien voir de cette scène. Jiang Xiaotong, quant à lui, nous encourageait à regarder, impassible. « Tant pis pour lui. Après tout, il a tracé une ligne de démarcation avec le peuple. Pourtant, il s’est finalement montré plein d’entrain ! » déclara-t-il. Je voulais réagir mais aucun son ne sortit de ma bouche. Je savais qu’il disposait de tous les arguments pour me contredire et qu’il réfuterait mes propos comme s’il me rouait de coups. Je me mordis la lèvre de toutes mes forces afin de réussir à conserver mon sang-froid. Je sentis toutefois mon estomac se retourner et craignis de vomir dans le train.
Je ne sais à quel moment, Liu Dunpei entama des allers-retours incessants entre les deux voitures afin de récolter toutes les gourdes, d’aider les filles à aller chercher de l’eau et de remplir tous les brocs militaires vides ou à moitié vides. Tous ces allers-retours finirent par le faire ruisseler de sueur. Zheng Jianguo essayait quant à lui de trouver le meilleur angle de vue pour ses photos. Quand il demanda à Liu Dunpei de lui remplir sa gourde, ce dernier lui lança une bassine d’eau froide au visage et lui dit qu’il n’avait qu’à aller la remplir lui-même. Il ajouta qu’il pouvait décider de ne pas lever le petit doigt, mais qu’il ne devait pas espérer pouvoir exploiter qui que ce soit. Suffoqué, Zheng Jianguo manqua de s’étrangler avec sa salive, qu’il ravala difficilement. En temps normal, il se serait déjà énervé, mais il était là en présence de nombreuses jeunes filles et il se contenta donc de grogner férocement avant d’ajouter : « Mais enfin, s’il faut faire la file pour aller chercher de l’eau, en rang les uns derrière les autres comme pour aller aux toilettes, ça devient une vraie aventure de remplir sa gourde ! » En moi-même, je pensai que Liu Dunpei rembarrait souvent Zheng Jianguo. Cependant, Zheng Jianguo se dit que Liu Dunpei jouait les jolis cœurs et qu’il ne perdait rien pour attendre. Du Yi sortit de son sac des bonbons aux fruits et en offrit à Li Caiying, qui nous les offrit à son tour. Je voulais accepter puis pensai « Manger entre les repas, c’est bien une manie des filles, mais pour un jeune homme comme moi, me montrer aussi gourmand me ferait perdre la face » et je refusai alors. Tous, à l’exception de Liu Dunpei, refusèrent les bonbons que Li Caiying nous avait proposés. Gênée, Du Yi rangea les bonbons restants dans son sac en faisant la moue. Je regrettais un peu : si j’avais su que notre refus allait tellement la décevoir, j’aurais accepté sa proposition. Par ailleurs, je n’avais que très rarement l’occasion de manger des bonbons, à peine au Nouvel An chinois tout au plus. L’ambiance dans le wagon était devenue beaucoup plus paisible. L’excitation provoquée par un premier voyage aussi lointain était peu à peu retombée et laissait place à la mélancolie et à l’inquiétude de quitter sa famille. Il régnait maintenant une atmosphère triste et morose dans ce wagon qui, tout à l’heure encore, était en pleine effervescence. Je décidai de fouiller dans mon sac pour me changer les idées. En le retournant, je découvris une carte postale. Je lus l’adresse et la signature. Il s’agissait d’une lettre de Jia Hui. Il avait dû la glisser dans mon sac avant notre départ, espérant ainsi que je l’informe de toutes nos étapes. Il rêvait de voyager dans toutes les grandes villes de notre mère patrie. L’idée que nous partions tous ensemble propager la pensée de Mao Zedong l’avait dès lors rempli d’ardeur. Malheureusement, juste avant notre départ, sa famille avait eu quelques problèmes et il n’avait pu se joindre à nous. Je ne pouvais m’empêcher de pousser de longs soupirs de regret en pensant à lui. « Ta famille te manque ? » me demanda tout à coup Li Caiying, me laissant sans voix.
« Comment pourrais-je être ainsi dépourvu d’ambition ? L’idéal pour un homme c’est de découvrir les quatre coins du pays ! » ne manquai-je pas de rétorquer après avoir hésité pendant près d’une minute. Li Caiying se mit à rire du bout des lèvres avant de regarder par la fenêtre et de fixer les chemins escarpés des montagnes au loin. Un motoculteur était en train d’en gravir les routes sinueuses. La poussière qu’il soulevait sur son passage ressemblait à la traînée de condensation laissée dans son sillage par un avion à réaction. Je savais que Li Caiying ne croyait pas un mot de mes propos braves et fiers. En réalité, je n’y croyais pas moi-même. À cet instant, on entendit un sifflement strident : un train arrivait en face de nous. À l’intérieur, des gardes rouges portant exactement les mêmes habits que nous criaient et hurlaient. Ils étaient en route pour Pékin, la direction opposée à la nôtre. « Allons donc aider ces camarades à faire de la place ! » déclara Du Shoulin, indigné. Lui et sa famille habitaient une petite maison à côté du parc à charbon dans lequel travaillait son père. Le manque d’aération dans la maison avait fait apparaître des boutons de chaleur sur son visage. Ce n’est qu’à l’âge de 6 ans qu’il avait quitté la campagne pour venir vivre à Pékin avec sa mère. Il aimait presque plus Pékin que nous. S’il ne nous avait pas rencontrés Jia Hui et moi, il n’aurait certainement jamais quitté son foyer pour partir à l’aventure. À midi, l’intérieur du train était une véritable fournaise dans laquelle nous cuisions à la vapeur tels des raviolis. Les garçons, tous torse nu, se servaient de journaux en guise d’éventails. Les filles quant à elles n’osaient pas se dévêtir ; tout au plus déboutonnaient-elles leur col. Aujourd’hui encore, je me rappelle l’odeur indescriptible qu’elles dégageaient. Elles devaient certainement se laver tous les jours avec un savon parfumé. Pas comme moi qui, les dimanches seulement, me rendais au poste de travail de mon père afin de m’y laver dans les douches communes et qui utilisais un savon noir absolument inodore. Soudain, un vacarme infernal se fit entendre : les étudiants de Qinghua et de Beida avisaient tout le monde qu’il était maintenant l’heure de la lecture. Le matin, il fallait prendre les instructions auprès du Président Mao et rendre compte au soir. Nous sortîmes tous notre petit livre rouge. Ces étudiants étaient comme des chefs et ne se gênaient en aucune façon pour critiquer les autres et leur donner des ordres. Le fait qu’ils portaient des habits militaires, habits que nous portions tous, et le fait que leur école comptait Nie Yuanzi et Kuai Dafu parmi ses étudiants les laissaient penser qu’ils avaient le droit de nous ordonner de redresser le torse, d’avoir l’air plus solennel ou encore de déterminer que tel ou tel comportement était une preuve de loyauté. Indigné, Jiang Xiaotong nous ordonna de les ignorer et de préparer nos valises. Nous allions bientôt descendre du train. Je lui demandai où nous allions descendre. Il me dit que d’après l’horaire des trains, le prochain arrêt serait Chai Goubao. « Hey, pourquoi vous lambinez vous autres ? » nous lancèrent les étudiants. Jiang Xiaotong répondit d’un ton calme et confiant : « Nous sommes arrivés à destination et devons descendre du train. » Les autres ne bronchèrent pas et se contentèrent de nous fixer avec un air ahuri.
Jiang Xiaotong sortit un sifflet de la poche de son pantalon et se mit à siffler pour nous donner du courage. Nous nous regroupâmes immédiatement. Ce sifflet, je l’avais dérobé deux jours avant en forçant le casier du professeur d’éducation physique pendant la nuit. J’avais même manqué de me faire prendre.
Li Caiying et les autres filles se mirent à chuchoter entre elles et déclarèrent soudain qu’elles descendaient également ici ! Sous le regard de tout le wagon, nos deux groupes descendirent du train en plastronnant.
Derrière nous, le train se remit en marche dans un vacarme assourdissant. Juste à côté de la gare, nous aperçûmes une pompe à eau vers laquelle nous nous précipitâmes en poussant des cris de joie. Nous nous aspergeâmes la tête d’eau tout en buvant. Nos corps étaient trempés. Nous renversâmes de l’eau à terre mais ne nous en souciâmes guère. Li Caiying et ses camarades offraient quant à elles un tout autre spectacle : leurs vêtements mouillés collaient à leur peau, laissant entrevoir leurs courbes attrayantes. Cette vision éveilla inévitablement des sentiments incontrôlables en nous. Heureusement, Jiang Xiaotong s’avança bravement et nous fit former des rangs. « Garde à vous ! Repos ! Comptez-vous ! En rang deux par deux, deux garçons, deux filles. Quinze personnes, le compte est bon. » Nous quittâmes la gare vaillamment, marchant toujours droit devant. « Où allons-nous ? » demandai-je discrètement à Jiang Xiaotong. « Silence ! » me rétorqua-t-il d’un ton sec avant de m’ordonner de respecter la discipline. Son visage était grave et chacun de ses mots semblait devenir un ordre. Tous me regardaient et je me sentis alors couvert de ridicule. Je décidai de ne me taire et de fixer droit devant moi. Dans mon for intérieur, je bouillonnais de colère. En classe, ce Jiang Xiaotong n’était rien d’autre que notre représentant pour le cours d’éducation politique. Il n’avait donc rien de plus que moi : j’étais moi-même le représentant pour le cours de littérature. Manifestement, les villageois ne s’attendaient pas à voir débarquer des visiteurs. Ils commencèrent à nous suivre et à observer ces nouvelles curiosités imprévues. Afin d’exhiber notre ardeur révolutionnaire, nous bombions le torse et marchions au pas. Tout en tâchant de cacher notre fierté, nous entonnâmes à pleine voix « Nous luttons avec détermination et ne craignons pas de nous sacrifier pour la révolution. »
Il n’y avait qu’une seule rue dans ce petit village que nous parcourûmes en moins d’une vingtaine de minutes. La fin de la rue débouchait sur un chemin de terre, à côté duquel des sillons remplis d’eau regorgeaient de têtards. Auparavant, nous aurions aussitôt essayé d’en capturer. Cependant, nous n’étions plus des étudiants du secondaire, mais jouissions désormais d’un statut particulier : nous formions l’avant-garde révolutionnaire chargée de combattre le révisionnisme à la Khrouchtchev et notre esprit combatif devait dès lors rester inébranlable.
Soudain, Li Caiying s’écria « Attention ! »
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From March to May 2018, I did undertake an intership as Translation Project Manager at Cogen Languages Services, part of the Technicis Group, one of the three main translation agencies in Europe.
From November to December 2018, I worked as Chinese as foreign language trainee teacher at Jianghan University, Wuhan, China.
During the month of January 2019, I completed an intership as Chinese to French/English translator at Wuhan Towin Translation Co., Ltd., Wuhan, China.